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LES BÂTISSEURS

Entrevue avec Jocelyn Durand9 minutes 10 secondes

Je suis Jocelyn Durand. Mon père était marin. Il était navigateur pour la compagnie Branch Lines, une compagnie de la région. Il était chef ingénieur. Et puis, j'ai eu le privilège dans les années 1950 quelque, 1957-58, de partir à chaque été à bord des navires avec lui. Je passais mes étés à me promener sur le fleuve, de Sorel à Shédiac, à Baie-Comeau, Trinité Bay, à Toronto. Et, je débarquais juste pour les études. Je passais tout le temps un mois et demi, deux mois sur ces bateaux-là et c'est là que j'ai commencé à apprécier le travail de marin ou encore la vie qui se passait à bord des navires. Évidemment, mon père aurait aimé que je suive des cours à Rimouski pour être soit pilote ou encore officier de marine. Mais, on fait rarement ce que notre père a fait. J'ai bifurqué et un jour je suis revenu à Marine parce que j'avais terminé des études et que je cherchais de l'ouvrage. Et, comme on connaissait quelqu'un qui pouvait nous faire rentrer... C'était comme ça que ça se passait à l'époque. Souvent, vous avez une connaissance de quelqu'un à l'intérieur, de l'organisation de Marine, et vous l'appelez. Le lendemain matin, vous travaillez. C'est ainsi que j'ai mis les pieds à Marine en 1973. Je pense que c'est en septembre 1973 à l'atelier des tôles et pôles.

J'ai commencé à l'atelier des tôles et pôles, atelier qui fabriquait des parties des turbines ou alternateurs que Marine faisait, qu'ils installaient dans les chantiers à la Baie-James, un peu partout. J'ai ensuite travaillé comme assembleur. Je suis allé suivre une formation comme assembleur. J'ai travaillé comme marqueur-traceur. J'ai travaillé comme charpentier. J'ai travaillé comme tuyauteur. J'ai travaillé comme nettoyeur. J'ai fait six départements. C'était mon choix parce que, exemple, il manquait d'ouvrage comme assembleur... Je suis assembleur. Il t'avertit demain matin que tu termines en fin de semaine, mais si tu veux tu peux aller comme nettoyeur. Pas de problème. J'y allais. Alors, j'ai accepté comme ça, à chaque fois qu'il y avait une mise à pied d'aller ailleurs. Beaucoup de gens préféraient rester dans leur corps de métier et retourner à la maison attendre d'être rappelés plus tard. Mais, grâce à ce système-là de prendre tout le temps la job, j'ai presque jamais manqué d'ouvrage.

Sur le chantier, il y avait près de 30 corps de métier. Vous les énumérer tous... J'aurais aimé mettre la main sur une ancienne convention collective, mais il y en avait... Ces corps de métier-là étaient réellement cloisonnés. Exemple, le meuleur, il ne faisait que meuler. Le nettoyeur pouvait utiliser une brosse d'acier mais pas une meule en pierre car ça appartenait au meuleur. L'assembleur assemblait à l'aide de ce qu'on appelait un taqueur. Et, il y avait un brûleur. L'assembleur pouvait toucher parfois la torche pour de très très petits travaux légers, mais encore là ça prenait l'utilisation d'un brûleur. Il y avait des opérateurs de grues, des opérateurs de machines fixes. Il y avait des camionneurs. Il y avait des charpentiers, aussi des menuisiers, ce qui est différent. Il y avait... Sapristi! Des tuyauteurs...Une trentaine de corps de métier, mais vraiment cloisonnés. Ça a perduré pendant plusieurs années, même après l'octroi des cargos français et grecs. Mais, c'est arrivé qu'après la fin du contrat des cargos grecs, on commençait à avoir des difficultés. Là, il y a eu sur la table de négos des questions de fusion de métiers, de corps de métiers de façon à obtenir une plus grande flexibilité. Réduire le personnel, c'était le but visé. Et, ça s'est produit.

À l'origine, tous les chantiers maritimes vivaient d'un contrat. Tu obtiens un contrat. Tu le produis. Le contrat est terminé. Mise à pied. Donc, c'était comme ça à chaque fois, à chaque fin de contrat... Rappel massif, mise à pied massive, rappel massif, mise à pied massive. L'avènement du contrat des cargos grecs, les cargos polyvalents qu'on appelait à l'époque grecs. Ça a été une première à Marine d'avoir une série de navires à construire qui a duré pendant des années où là Marine a pu avoir une main d'œuvre stable.

Pour produire, par exemple, des cargos grecs ou des cargos français, il y a eu des modifications dans la construction des navires. Pendant la guerre, il se construisait des navires, on pourrait dire morceau par morceau à l'extérieur sur la face plate, directement sur la Marine Railway. Ils prenaient une pièce, elle était assemblée. Une pièce, elle était assemblée. Quand ils ont eu les contrats des cargos français, ils ont dû innover et commencer à construire des modules en atelier. Ils ont construit un atelier qui s'appelait la panel shop, la première qui était révolutionnaire pour nous autres à l'époque, mais qui s'est avérée insuffisante par sa capacité. Ils en ont construit une deuxième beaucoup plus grande avec une capacité incroyable où là on a produit des modules qui avaient la taille de maisons pratiquement qu'on pouvait sortir avec des équipements grutiers nécessaires. Ces pièces-là qui pesaient des tonnes et des tonnes étaient assemblées à l'extérieur en immenses modules. Donc, ça c'était la révolution dans la construction navale.

J'ai été élu délégué de mon département en 1981 je crois. C'est à l'atelier des tôles et pôles. Un an après, il y a eu des élections générales pour le syndicat sur le chantier. On m'a demandé de me présenter au poste de trésorier. J'ai été élu au poste de trésorier et je suis resté là pendant 20 ans, 22 ans, 25 ans. Je ne me souviens plus.

Il y a eu une grève en 1984 qui a duré 11 mois justement sur la fusion des métiers où l'employeur était vraiment à la charge et demandait vraiment des réductions de personnel. Il donnait de la sous-traitance à outrance. C'était incroyable! On s'est élevé contre ça. On a pu sauver pendant quelques années encore la survie des corps de métiers existants, mais à la longue il a fallu admettre que c'était une formule non viable. Il fallait réduire, mais on a eu beau réduire, ça a également réduit que c'était rendu presque fermé. Il n'y avait pas de volonté de faire vivre ces chantiers-là. Pourtant, c'était un chantier unique au Canada parce que comme chantier maritime c'était le seul qui possédait des Marine Railway comparativement aux autres chantiers comme Vickers, Lauzon où ce sont des cales sèches ou des cales flottantes.

Marine avait l'avantage de pouvoir construire cinq navires en même temps. On les construisait chaque bord de la Marine Railway. Aussitôt, qu'il y en avait un qui approchait de la fin, on le mettait sur la Marine Railway et il s'en allait à l'eau. L'autre approchait. On le tassait. On l'embarquait sur la Marine Railway et il s'en allait à l'eau. Il y avait deux Marine Railway à Marine, un de 5 000 tonnes. Ça c'était la capacité que pouvait supporter Marine Railway. C'est pour ça que le navire n'était jamais complété à terre. Ça aurait été trop lourd. Donc, c'était le navire en état de flotter sans les moteurs, sans la superstructure. Là, on le mettait à l'eau.

De voir qu'on puisse à partir de rien, tu vois monter lentement le fond, les tank top. Puis, commencent les côtés, le deck, la superstructure. Il s'en va à l'eau. Hey! À partir de rien, on a fait ça. Je ne peux pas vous donner tous les détails, mais j'ai vu toutes les étapes de la construction. C'est fascinant ça à voir ça. Même quelqu'un, un visiteur qui vient à côté d'un navire qui est hors de l'eau, quand il voit la taille que ça a, c'est impressionnant. La grosseur du truc, c'est impensable. Et puis, il y a tellement de choses dans un navire. Tellement, tellement. C'est un musée! Je ne sais pas quoi. Chaque partie du navire est intéressante.