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LES BÂTISSEURS

Entrevue avec Jean-Marc Boisvert 8 minutes 12 secondes

Au décès de mon père en 1963, je me suis trouvé une job et j'ai eu une offre à ce moment-là à Québec Iron et chez Marine Industries. À tout hasard, à Marine ils avaient été les premiers à m'appeler. Donc, je suis allé les voir. J'ai fait une entrevue et j'ai commencé le lundi suivant. Ça a été aussi simple que ça. Je ne connaissais rien des bateaux et j'ai appris avec le temps, avec l'expérience, avec la formation qu'ils m'ont donnée sur place.

Au départ, c'était aussi simple que de classer des documents, des choses semblables. Mais, à regarder des dessins... J'étais capable de faire ça. Je comprenais ça ou des choses semblables et de là, ils m'ont donné la chance de m'entraîner un petit peu à la méthode européenne, c'est-à-dire de faire le tour des principaux départements de toute l'ingénierie qu'on appelle. Ça s'appelle salle à dessin, estimation, design office et ainsi de suite. On était entraîné vraiment avec les calculs et les méthodes et on a appris les bases de l'architecture navale avec un architecte que j'ai apprécié énormément Peter Turcke, un Suisse-Allemand, qui nous enseignait quasiment à plein temps au travail.

Chez Marine Industries, le premier navire sur lequel j'ai travaillé c'est un pétrolier, Branch Lines cote #305 et j'ai terminé chez MIL avec la livraison du Edward Cornwallis qui est le dernier navire brise-glace qui a été bâti au chantier... ou le William Alexander, je ne me souviens pas... mais, les deux derniers brise-glace de la série 1100 en 1987.

On a travaillé beaucoup durant les années 60 sur des produits très spéciaux comme des pétroliers pour Branch Lines. On a construit les pétroliers les 5-6 000 tonnes au début, le Jos Simard, le JE Simard, le Ludger Simard. Après ça, on a fait une série de 6 000 tonnes. On a fait quatre entre autres l'Arsène. Après ça, on a fait trois bateaux pour Cuba sur le même modèle, à partir essentiellement de la même base. On a bâti deux bateaux pour Gulf. Donc, on parle d'une douzaine de pétroliers bâtis sur le même modèle. C'étaient des succès de faire un dessin et 10-12 bateaux du même modèle. Le modèle du bateau français, pour la compagnie Chargeurs Delmas Vieljeux, qui opère aujourd'hui encore sous le nom Delmas, avait dans le temps une flotte de 80 navires et ils gardaient les navires environ cinq ans. On a bâti des cargos français qu'on appelait ici, mais eux les appelaient Côtes du Nord, Correze, Cantal et jusqu'au Calvados. D'ailleurs, le Calvados était encore en service en 2010, lors du dernier contact que j'ai eu avec le propriétaire du navire, encore en service après 36 ans, service de haute mer qu'on parle. J'étais tout surpris de trouver ce navire-là encore en service.

On a débuté dans les années 60 avec la méthode d'arêtes de poisson qu'on appelle. Vous utilisiez le terme construction comme une structure de baleine. Ce qu'on voit , la structure, le modèle des constructions de navires en bois. À partir de là, ça a évolué dans les années 60 vers ce qu'on a appris d'une méthode scandinave. On a importé la méthode de construction par blocs, par tranches de pain si on veut. Finalement, plusieurs blocs ensemble vont finir par faire une coque de navire. Lorsqu'on avait une coque de navire, on pouvait la lancer. La mettre à l'eau. L'amener au quai de finition. Et après ça, la livrer au client. Donc, ça a été une grosse évolution dans les années 70 d'adopter cette méthode-là. Au point tel, que ça a été les bases de ce qu'est la méthode aujourd'hui de construire des navires. Partout sur la planète aujourd'hui, on construit des navires par blocs dans lesquels on intègre au maximum la tuyauterie, les éléments de mécanique, l'électricité et ainsi de suite. Même la peinture finie, il ne reste que les joints au niveau d'un bloc à l'autre. Donc, ça a amélioré énormément parce qu'on peut tout fabriquer en atelier plutôt que de travailler à l'extérieur.

L'investissement majeur dans les ateliers pour passer de la construction traditionnelle vers la construction modulaire... Les ateliers où on a commencé à traiter l'acier avec un grenaillage et une couche d'apprêt avant le découpage et l'assemblage par les blocs et ainsi de suite. Donc, cette modification-là a amené l'érection de la bâtisse 69 qui avait les bureaux au deuxième étage et les ateliers au premier étage, donc les électriciens, les mécaniciens, les tuyauteurs tous en ligne. On s'est tous regroupés en équipe pour livrer le navire. Si on avait une question à poser à la salle de dessin, il s'agissait de monter un escalier ou à la limite pour le dessinateur de descendre. C'était aussi proche que ça. Au lieu d'être dans 60 bâtisses éparpillées, comme était la méthode des années 40, on était rendu maintenant à dire on va travailler en équipe.

On a fait le design en équipe. Je disais ça en joke. On était comme une dizaine de collégiens alentours de la même table. On faisait un dessin de la salle des machines sur nos tables de cinq pieds dans le temps et on jouait avec des blocs comme des blocs Légo : le moteur principal, les génératrices, les pompes principales et ainsi de suite. On promenait les assemblages en fonction des escaliers, des espaces, des ponts. On a fait, à partir de là, sur des plans qu'on a mis par la suite, ce qu'on appelle le space management, la gestion des espaces d'un navire. On a réservé des couloirs pour la ventilation, l'électricité. Ça a été le début de la construction modulaire. On s'est servi de ce projet-là une dizaine de chums alentours des mêmes dessins. Il y avait des Henri Bellot, Gilles Boivin sur les structures, Paul White sur la partie architecture navale calcul vitesse, un bureau allemand en référence pour la forme de la coque. On avait un Marc Lavallée qui nous a aidé sur le design électrique. Donc, ça tournait alentours d'une petite équipe d'une dizaine de personnes et, finalement, on a produit ce qu'on appelle le design de base, le design fonctionnel. À partir de là, c'est allé en salle à dessin. On a développé toutes les parties détaillées pour chacun des systèmes du navire. On avait une salle à dessin coque, armement, salle à dessin mécanique, salle à dessin électrique, mécanique tuyauterie et à partir de là tous les dessins. Six mois après, on était en production du premier navire. Donc, c'était quelque chose d'efficace. C'était une méthode... Ce n'était pas une copie. C'était complètement créé d'un nouveau besoin et ça a été un succès. Une vingtaine de bateaux de la même série!

L'expérience et l'esprit d'équipe qui régnaient dans les années 60 et 70. Je vous comptais tantôt le design d'un bateau français. On était une dizaine de personnes alentours d'une même table, sur le même problème, alentours de la même salle de machine et on trouvait la solution. C'était la base de ce qu'on appelle aujourd'hui la gestion moderne des choses. C'est d'amener les ingénieurs, les architectes, les gars de production tous ensemble et de trouver la solution la plus viable. Donc, c'était déjà... Nous, on le faisait de façon naturelle parce que l'esprit d'équipe était là. Les patrons nous encourageaient et nous supportaient dans cette méthode-là.

J'ai été terriblement impressionnée par les 50 ans d'histoire de Marine Industrie de livrer 150 navires sur cette période-là. C'est quand même cinq navires par année qui ont été livrés en moyenne. C'était un vrai phénomène!