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LES BÂTISSEURS

Entrevue avec Jean-Yves Landreville 8 minutes 15 secondes

Mon nom c'est Jean-Yves Landreville. Je suis né à Saint-Jean-de-Matha. Je suis arrivé dans la région de Sorel en 1939. Mon père a été recruté comme ancien forgeron pour venir faire des canons pour la guerre de 1940. J'ai fréquenté le collège Sacré-Cœur pendant une dizaine d'années. Là, je peux dire que j'ai commencé un petit peu à embrasser le marché du travail. Parce que, à Marine Industries, on donnait à des étudiants l'été une chance de se faire quelques sous. Comme dans ce temps-là, on ne donnait pas d'argent si tu ne travaillais pas. Le premier emploi que j'ai eu comme étudiant ça a été « courailleur » de rivets à Marine Industries. Qu'est-ce que ça fait un « courailleur » de rivets? Sur un bateau, vous avez des étages. Sur l'étage supérieur, il y avait des chaufferettes qui chauffaient les rivets à blanc. Dans le bas de cale, on était habillé avec des protections en amiante. On prenait le rivet chaud en haut blanc et on le lançait dans le fond de la cale. Moi, j'aimais jouer au baseball, donc je pognais le rivet mais vitement il fallait le prendre pour le mettre dans le trou où il allait pour être rivé. Ça a été mon premier emploi dans la région. Le deuxième ça a été que,... quand j'ai fini mes études, j'ai travaillé pour « Fraser Breeze ». C'est une compagnie qui a bâti si vous voulez Quebec Iron. Ça a été emmené ça par M. Joseph Simard qui était un administrateur de Rio Tinto qui avait emmené ça à Sorel après que la guerre de 1945 a été finie vers les années 1947-48. Là aussi, ont commencé à se faire beaucoup de travaux pour garder des emplois. Et en 1950, est arrivée la Guerre de Corée. Les Messieurs Simard ont pris des gens comme moi, beaucoup comme moi. Je pourrais vous donner une série de noms. Je pense que je vous ai donné des photos de ça. On est entré comme apprentis-machinistes à Sorel Industries. Et le cours se donnait par des anciens machinistes. Des anciens dans le sens qu'ils avaient fait la guerre de 1940. Donc, ils devenaient nos professeurs comme machinistes, pour faire des machinistes. Avant ça, on a eu la chance de travailler sur différents outils. Parce qu'à Sorel Industries, ils n'ont pas fait que des canons. Ils ont fait beaucoup de travaux mécaniques pour... différents travaux... des centrales pour aller chercher le minerai, des tambours pour les moulins à papier, beaucoup de choses comme ça.

Je dirais quand on parle de Sorel Industries en 1950, en 1948 surtout, c'est là qu'il y a eu des mises à pied tout de suite après la guerre. Donc, beaucoup d'employés se sont trouvé du travail dans la région. J'en connais quelques uns qui sont allés travailler aux élévateurs à grains. Quand vous regardez ici les élévateurs à grains, il y a des convoyeurs. Alors, ces gens-là sont allés travailler sur des convoyeurs. Mais en 1948-49, avant la Guerre de Corée, la famille Simard a fait beaucoup pour essayer de donner de l'emploi dans la région. Et puis, ça n'a pas toujours été facile, alors ils ont fait une tangente je dirais vers du travail extérieur à faire des canons. Alors là, ils ont fait des tambours pour les moulins à papier. Ils ont fait des winch, je me souviens des gros winch pour tirer les minerais des profondeurs. Et même, ils ont fait pour Canadair, ce qu'on appelle des flap trap, des pièces usinées pour mettre dans les ailes d'avion. Ces pièces-là étaient faites pour Canadair. Alors beaucoup des jeunes qui ont passé là comme moi, on est devenu des machinistes généralistes. Ils essayaient le plus possible avec les aptitudes et les capacités qu'on pouvait développer de travailler sur différents outils.

À Pratt et Whitney, c'était autour de l'année 1958... quelque chose comme ça. C'est une année qui m'a marqué beaucoup. Je n'étais jamais sorti beaucoup de la région de Sorel et je m'en vais travailler à l'extérieur avec des anglo-saxons surtout, mais il y avait beaucoup d'Allemands qui travaillaient à Pratt and Whitney. Une grosse ingénierie ça... Il arrive des élections en 1959 avec John Diefenbaker qui avait été élu avec la plus grosse majorité au Canada comme Premier ministre du Canada. Et puis, quelques temps après, un mois ou deux, je ne peux pas dire exactement, il y a eu une mise à pied drastique à Canadair et à Pratt and Whitney. Canadair, c'était 8 ou 10 000 personnes qui avaient été mises à pied. Pratt and Whitney, c'était 2 ou 3 000 personnes. Moi, j'ai été mis à pied aussi.

Deux enfants... Il fallait que je fasse de quoi... Alors je me suis présenté au mois de janvier au bureau d'assurance chômage. J'ai expliqué mon cas, les études que je voulais faire. Là, j'ai eu un genre de bourse. On m'a envoyé étudier à l'école Aviron à Montréal pendant 6 mois je crois. Alors, je suis allé là et je suis sorti avec un diplôme. Je rencontre M. Émile Bernard qui était à la Caisse populaire Saint-Joseph de Tracy. Il me dit : « Viens donc faire application à Marine. » Alors, je vais à Marine Industries. Je fais application. On dit : « Oui, il y aurait une job pour toi, mais elle serait dans les bureaux dans la salle à dessin des wagons. » J'ai dit : « Ah bon! Ok! » Il me dit : « Tu vas aller voir M. Roland Petitclerc qui va te donner les conditions. »

Je m'en vais travailler aux wagons. Là, je m'associe avec un monsieur qui a été très connu dans la région, M. Aurèle Racine, qui a été maire de la ville de Tracy. Là, pendant un certain temps, peut-être deux mois, trois mois, je ne me souviens plus du temps. Là, il y avait un travail à faire, c'était de vérifier la qualité, la résistance d'un wagon. Donc, il avait pris un wagon qu'il avait attaché après la voie ferrée. Il y avait un train avec un wagon qui partait plus loin qui s'en venait avec un vitesse donnée et il lâchait le wagon pour qu'il aille frapper celui qui était prisonnier de la voie ferrée. Ça me fait penser un petit peu au lac Mégantic... Et là, il fallait le relevé des pièces fortes et des pièces faibles. Ça a bien été. Après ça, on m'a donné un travail. On m'a dit : « Tu vas faire un dessin de l'ensemble de toutes les pièces du wagon. » J'ai fait ça. Ça a peut-être pris six mois, neuf mois. Je ne me souviens plus. Et après, aux wagons, on n'a plus eu beaucoup de travail. Il y avait un monsieur, que j'avais connu à Sorel Industries, M. Jean Racine, qui n'avait pas été mon patron direct, mais que je connaissais très bien. Il m'a dit : « À Marine, on va avoir besoin de toi si tu veux venir à Marine. » Alors, je suis allé à Marine. J'étais à Marine aussi pour les wagons, mais là est arrivé le premier contrat dans la région de Sorel d'une turbine. Mais, le contrat avait été octroyé, si ma mémoire est bonne, à Sorel Industries.

On m'a dit : « C'est toi qui va choisir les dessinateurs. C'est toi qui va faire passer le test pour engager les dessinateurs. » Alors moi, je me suis retourné vers ceux qui avaient fait leur cours au Cégep de Sorel. Et dans l'espace de deux ans, j'avais 25-30 dessinateurs qui ont fait leurs cours à Sorel et qui ont travaillé dans l'atelier de dessin turbines-alternateurs et on a fait la Baie-James et toutes ces centrales hydroélectriques. Et pour moi, ce sont ces gens-là... Quand tu es chef dessinateur, ce n'est pas toi qui fait le travail. Toi, tu surveilles et tu commandes le travail. Mais, les gars qui ont fait les dessins, ça a été pour moi ma plus grande fierté de ma vie, qu'ils m'ont donné le support à ce point-là.