Accueil » Les bâtisseurs » Les travailleurs » Les entrevues filmées » Entrevue avec Yvette Lavoie Boyer

LES BÂTISSEURS

Entrevue avec Yvette Lavoie Boyer 8 minutes 02 secondes

Mon enfance, c'est un grand parcours. Disons que je vais me contenter de Daveluyville où j'ai passé mon adolescence. Les plus belles années de notre vie, je pense. J'ai fait mes études ensuite à Nicolet à l'école normale et puis j'ai eu un diplôme supérieur. Et, j'ai eu la médaille du Prince de Galles. J'étais tout honorée. Ensuite, la guerre s'est déclarée. Et, il y a eu beaucoup d'ouvrage à Marine Industries. Mon père était ébéniste. Alors, il a demandé un emploi et il l'a obtenu tout de suite. Alors, la famille a déménagé. Je n'ai pas eu le plaisir de retourner à Daveluyville pour revoir mes amies de jeunesse. Je suis venue tout de suite à Sorel. Et puis, on a été chanceux. À l'époque, les logements étaient très rares, mais M. Chevrier avait bâti un très beau logement, un duplex. On a eu la chance d'avoir ce logement-là. Alors, j'ai passé des vacances merveilleuses le premier été. Mais, la deuxième année, le gros travail de chantier commençait. Et puis, le curé de la paroisse avait demandé : « Si vous avez un peu d'espace de disponible, voulez-vous être charitables et accepter les étrangers qui arrivent et qui n'ont pas d'endroit où se loger? » Alors, maman a accepté d'en prendre trois. Un d'eux venait de Windsor en Ontario. Les autres venaient d'assez proche par exemple, peut-être de Verchères. Si bien que la plupart... C'était tous des professionnels en tout cas. Et puis, deux d'entre eux pouvaient retourner chez eux la fin de semaine. Alors, on avait la tranquillité à la maison. Mais, ... Tout de suite, les wartime houses ont commencé à se construire. Et puis là, les maisons se sont vidées. On n'avait plus besoin d'aider personne. Mon mari est allé aussi dans un wartime house parce qu'il faisait partie des nouveaux arrivants lui aussi.

J'ai commencé à enseigner la première année et après ça, comme les salaires n'étaient pas très bons et puis que j'ai réalisé que d'autres personnes avaient moins de diplômes que moi et gagnaient le double, j'ai pensé que peut-être que je pourrais essayer d'entrer dans un bureau. J'ai fait application à Sorel Industries et à Marine. Marine m'a demandée tout de suite le lendemain. Alors, j'ai dit à la directrice de mon école, je pense que je vais être malade pour deux ou trois jours. La question était de savoir si je pouvais faire du travail de bureau ou si j'allais aimer ça. Et puis, j'ai réalisé que j'étais capable. Alors, on m'a envoyée... J'ai commencé par travailler au payroll parce que, à l'époque, on travaillait en anglais. On travaillait en français, mais notre grand bureau était au-dessus de la carpenter shop. On était à peu près entre 40 et 50 employés.

Le long d'un mur, il y avait... Ils appelaient ça des punch et les key punch. Et puis, un autre endroit qui s'appelait euh... C'était un autre nom anglais. J'oublie... C'était posting. Il y avait un gros ordinateur qui était gros comme un piano à queue madame et qui faisait clam, clam, clam à chaque fois qu'il imprimait une ligne. Personne pouvait toucher à cet ordinateur-là parce que c'était précieux. C'était M. François Contant qui avait le droit d'y toucher. Et quand ça faisait défaut cette machine-là, c'était quelqu'un de Montréal qui venait, un M. Goldsmith. Lui faisait des réparations. Il était particulièrement gentil.

J'ai travaillé pendant tout le temps de la guerre jusqu'en 1946, jusqu'à mon mariage. Quand l'armistice s'est signé, on nous a, les personnes du bureau, tout le bureau, on nous a appelées pour faire les licenciements... Je ne sais pas combien d'employés. Parce que, à l'époque, je pense qu'on a été jusqu'à 6 000 employés. Et puis, évidemment il y avait moins de contrats. Il fallait que les gens retournent chacun chez eux. Il y avait des personnes qui venaient d'aussi loin que Havre-Saint-Pierre. J'avais un camarade de bureau qui venait de Havre-Saint-Pierre. Et puis, tout ce monde-là, ils sont tous repartis. Alors, vous devinez qu'entre 50 personnes dans un grand, grand, grand bureau... Il fallait réduire ça aussi. Alors, on nous a fait... Ce n'est pas nous qui avons fait le licenciement. Quelqu'un s'en est occupé. On est resté huit. Et, j'ai été une des rares qui est restée en place. Les autres allaient s'aligner en arrière et ils savaient que c'était la dernière journée où ils étaient payés et c'était tout. Ensuite, ça n'avait pas d'allure qu'on reste dans ce grand bureau-là. On nous a amenés... On appelait ça le gate house. C'est probablement un des édifices qui est resté en place. Je ne suis pas retournée depuis, mais éventuellement cet édifice-là doit être encore en place. Et puis, on nous a installés les différents bureaux... Parce que, il n'y avait pas seulement le pay roll. Il y avait aussi les dessinateurs. M. Simard avait lui-même son bureau et ses secrétaires.

J'ai eu le plaisir de rencontrer les Simard, surtout la famille de Ludger. Mme. Ludger Simard était une demoiselle Arsenault de Tracadie. C'est eux qui ont eu l'idée... À Sorel, à l'époque, il y avait ce qu'on appelle l'hôpital Richelieu qui était au centre-ville. Vous devez le savoir maintenant c'est une résidence pour personnes âgées. On n'avait pas l'Hôtel-Dieu. Ils ont commencé à le construire à cette époque-là. Et puis, Mme. Simard a fait venir une religieuse de Tracadie pour être la directrice de l'hôpital. Et puis, M. Simard demandait aux employées de bureau, celles qui le voulaient, on pouvait aller comme bénévoles. Alors moi, ça me plaisait d'être bénévole pour l'hôpital. Alors, je suis allée à plusieurs reprises.

Mon mari ne voulait pas aller à la guerre. Et puis, il était le neveu du docteur Morand qui avait été député-ministre à Windsor en Ontario et qui avait des relations. Alors, le docteur Morand a téléphoné à un de Chrysler en Ontario... Chrysler les automobiles. Et puis, ce monsieur-là a communiqué avec quelqu'un de Sorel Industries et mon mari a eu un emploi. Alors, il est venu ici. Et, il a été un de ceux qui ont logé chez nous pendant quelques mois. C'est comme ça que je l'ai connu. Et puis, comme les autres sont tous repartis, lui aussi est allé au Wartime pendant quelques temps. Mais, comme il n'avait pas de famille et qu'il nous avait connus, il revenait chez nous régulièrement. Puis, maman l'invitait des fois le dimanche. Puis, j'avais une de mes sœurs qui avait l'œil dessus un peu. Elle le trouvait pas mal gentil et c'est vrai qu'il était gentil aussi. Puis, finalement, c'est moi qui ai eu la chance de l'avoir. On est retourné ensemble... Notre voyage de noce, on est retourné à Windsor. J'ai été bien accueillie. Et savez-vous qu'une des personnes de la famille a dit? « Qu'est-ce que t'a fait Hubert pour mériter une femme comme ça? » C'était pas mal gentil hein!

J'ai été heureuse. Mais, remarquez que le travail de bureau n'est pas aussi gratifiant que l'enseignement. On fait son ouvrage. C'est monotone. Alors, quand je me suis mariée, je n'ai pas pensé à ma vie dans le temps que j'étais secrétaire. J'ai oublié ça. Parce que à l'époque ce n'était pas la mode de retourner travailler. Peut-être qu'en 2013, je ne le sais pas... Ah! Et puis, je remercie le Seigneur d'avoir eu le temps d'élever mes enfants à la maison, de les aimer autant qu'il fallait les aimer. Et puis, ils me le rendent tellement bien maintenant que 15 ans de pauvreté, ce n'est pas si mal.